Oman : enturbanné dans les oueds

En longeant le bord de mer, j’ai l’impression d’être entré dans le pays de la Belle au bois dormant. De petits villages vétustes se succèdent. Une bonne moitié des édifices sont en ruine.

La première ville sur mon itinéraire, Sohar, est plus active, mais, en trois jours, je ne parviens pas à trouver le centre-ville. On m’envoie au City Center qui est en fait un centre commercial. Les malls, comme on aime à les appeler ici, sont une véritable institution et de facto le centre des villes. Climatisés, ils sont agréables à visiter en tout temps. Les fiers bédouins n’ont plus la force de résister aux affres de la météo.

Je demande alors le center of the city qu’on m’indique dans une autre direction. Peut-être, l’ai-je traversé. En tout cas, je n’ai jamais découvert des attroupements suffisants pour qu’un lieu mérite ce nom. Le long de la côte, quelques pêcheurs viennent le soir pour attraper des calamars. Un peu plus loin une place de jeux et un espace vert attirent sportifs et enfants. Après la frénésie de Dubaï, je m’adapte avec plaisir à ce nouveau rythme.

Aux Émirats, les couvre-chefs restaient assez uniformes. Je me souviens surtout de leurs keffieh (en fait un simple turban blanc). J’ai aussi discuté avec un automobiliste bien installé dans sa voiture portant une ghutra, un foulard blanc ouvert sur la tête et tenu par un agal, une corde noire autour du crâne.

Les Omanais sont, quant à eux, passés maîtres dans l’art du turban. Personne ne volera ici la vedette au muzzar, le turban omanais, mais j’y ai aussi vu des shemagh, foulard à carreaux blanc et rouge ainsi que des ghabanah, turban de couleurs. Les Omanais osent associer le blanc avec du vert ou du bleu. Ils portent avec fierté des patterns à damiers, fleuris ou comportant des reliefs traditionnels. Je suis souvent sous le charme.

Les Occidentaux dissertent souvent sur le voile des femmes musulmanes, les uns voulant faire croire qu’il est le sixième pilier de l’islam, les autres que se couvrir les cheveux revient à s’aliéner. Personne ne s’intéresse au turban dont je désire faire l’apologie. Il permet de plaire à Allah au même titre que le voile et, si tous les hommes musulmans le portaient, les femmes ne seraient plus discriminées par l’obligation (inventée) de se couvrir (puisque les hommes se couvriraient aussi).

Je rejoins tranquillement les montagnes désertiques, progresse de petits cols en petits cols et débouche sur des montagnes toujours aussi désertiques. Des dromadaires paissent çà et là. Parfois le lit d’une rivière déborde sur un pont. Rien d’inquiétant, tant que l’eau n’atteint pas la ligne rouge du poteau fatidique. Le centre des villages me laisse indifférent, mais je garde un souvenir précis des maisons éparpillées alentours dans des plaines pierreuses.

Elles étaient imposantes, avec un haut mur massif, un gros premier étage emboîté comme un Lego sur le rez-de-chaussée. Le toit plat est monté d’une tour en son milieu et couronné d’un réservoir d’eau. L'édifice est parfois décoré de quelques enjolivures superficielles (notamment créneaux) pour évoquer les châteaux médiévaux.

Des Omanais m’invitent encore et encore. Un jour, nous passons toute la soirée dans la cour. Plusieurs tapis couvraient le sol et des coussins permettaient de bien s’installer. Le narguilé n’arrêtait plus de fumer. Des chaises étaient placées sur l’extérieur. La télévision, savamment installée, distillait des informations dont personne ne prenait garde.

Des voisins nous rendent visite avec un bel oiseau, pas encore déplumé, comme présent. Il sera vite grillé sur le feu de camp allumé dans une brouette. L’un des convives se plaint de la dot exorbitante des Omanaises. Pour la contourner, il avait tenté sa chance en Suisse, visitant les discothèques pendant deux semaines. Il était rentré bredouille… Le lendemain, je les quitte à regret.

Contrairement aux Émiratis, les Omanais ne sont pas de simples mirages au loin. On les voit vivre, se promener et travailler un peu partout, même dans les supermarchés au côté d’immigrés. Les femmes sont discrètes mais pas absentes. Je crois que mon seul contact intense avec une Omanaise eut lieu lorsque la vendeuse, derrière son voile intégral, avait insisté pour me faire essayer des parfums. Surprenant, tant les cosmétiques sont associés au corps et à la beauté. Son accoutrement ne l’empêchait cependant pas de sentir bon.

Un soir, la route est serrée entre une rivière au large et une chaîne de petits pics pointus et serrés. Soudain, cet univers inhospitalier s’ouvre discrètement à moi. Un petit oued me permet de quitter la route et d’avancer entre ces inquiétants rochers. En bout de course, je découvre, à ma grande surprise, que la place est déjà prise. Deux hommes sont tranquillement installés sur un tapis au pied d’une courte falaise avec leurs bières et leur whisky. Ils portent une dishdasha, une robe à manche longue descendant jusqu’aux chevilles, d’apparence identique à la kandurah des Émiratis. Un copain les rejoint. Il se souvient avoir pique-niqué ici en 1999 pour la dernière fois.

Ces joyeux lurons aiment bien venir dans ce coin isolé entre amis pour boire de l’alcool à l’abri des regards. La police ne les dérange pas, pourvu qu’ils restent discrets et ne provoquent pas d’accident. Mes hôtes ne portent pas de turban, mais l’un d’eux fait mieux que sauver l’honneur avec un autre couvre-chef national, le kumma, une magnifique calotte surélevée et brodée.

Nous digressons sur l’interdiction en islam de porter de l’or pour les hommes (pas pour les femmes, mais personne ne crie à l’injustice), sur l’importance des amis pour trouver de l’alcool, sur le pèlerinage à la Mecque facile à organiser et peu onéreux pour les Omanais, sur la différence entre le sunnisme et le courant ibadite majoritaire à Oman (franchement, la distinction n’est pas évidente et j’avais l’impression, à les entendre, que les nuances actuelles résident dans un folklore qu’ils ignorent), sur la possibilité de recevoir des soins médicaux en Inde aux frais du gouvernement (si le traitement n’est pas réalisable à Oman), sur les quotas forçant les entreprises à éviter que les étrangers ne « volent » le travail aux Omanais qui bénéficient de contrats préférentiels et sont donc, pour le même emploi, bien mieux rémunérés et protégés.

Afin de ne pas sombrer dans les ténèbres de la nuit, mes fêtards allument les projecteurs de leur voiture pour s’éclairer. Nous nous asseyons en tailleur et mangeons une soupe de poulet, suivie d’un riz au mouton. Ils me quittent en me promettant le déjeuner à 8h30. Dans la confusion d’une fin de soirée alcoolisée, je n’y prête pas attention.

Je profite du silence de la nuit pour explorer le haut de cet oued. L’eau est en fait aspirée par les pierres à quelques mètres de mon campement. S’il pleuvait, tout serait inondé. Le ruisseau coule timidement, créant régulièrement de petites chutes d’eau. Une petite végétation, serrée entre les rochers, a pu prospérer. Coassements sporadiques et fin ruissellement créent une musique de toute beauté.

Le matin je monte jusqu’à une piscine naturelle pour faire ma toilette. La source se trouve certainement plus haut, mais la pierre glissante est trop difficile à escalader pour s’y risquer. À mon retour, mes amis de la veille sont déjà assis sur leur tapis et déballent le petit-déjeuner.